C'est un peu ce qui est arrivé cette semaine quand des journalistes, psychologues et politiciens ont dû réagir à chaud à la sortie de l'ouvrage collectif "Le mouvement masculiniste au Québec - L'antiféminisme démasqué", qui les mettait en cause comme acolytes de l'idéologie du "désarroi des hommes".

      Il y avait de quoi détaler. Mélissa Blais, Francis Dupuis-Déri et leurs neuf collègues d'écriture brossent un tableau documenté et détaillé des sophismes, malversations, agressions et délires qu'imposent depuis vingt-cinq ans au Québec les ultras de la "condition masculine". Surtout, ils démontrent le rôle des pisse-copie, éditorialistes, columnists d'humeur, psychologues populaires, politiciens, documentaristes et autres acolytes des militants contre les droits des femmes qui enjolivent et accréditent leurs outrances misogynes pour les répercuter dans les mass média. On fait ainsi de "l'homme en détresse", présenté comme censuré et castré, la caution psychologisante d'un antiféminisme bien traditionnel, où l'agresseur ne fait que frapper "la cause de sa souffrance" pour citer le visqueux Yvon Dallaire.

(Blattes A. E. Brehm : Eric Geirnaert )

      Comme l'humble coquerelle, cette intimidation ne date pas d'hier. Ève-Marie Lampron trouve chez Jean-Jacques Rousseau et lors de la Révolution française les débuts d'une complainte agressive sur la dévirilisation de l'homme par la notion de l'égalité pour les femmes. Diane Lamoureux retrace, dans une actualité plus récente, la passe des "Yvettes", des femmes engagées dont les éditorialistes Lise Bissonnette, Marc Laurendeau et Marcel Adam ont réussi à faire, en 1980, une "preuve" de la résistance des Québécoises au féminisme. Mélissa Blais retrace le même genre de job de bras révisionniste lorsque les Roch Côté, Guy Corneau et autres idéologues ont fait du meurtre en série de Polytechnique, il y a 19 ans, la "démonstration" que les féministes avaient été trop loin…

      Dur dur d'être de droite

      Pour un journaliste d'enquête allemand, Günter Wallraff, le déni des responsables en dit souvent plus long que l'exposé qui les aiguillonne. C'est ce qu'on a pu constater en mai lorsque les chantres du masculinisme se sont bousculés aux micros radio pour aggraver leur cas en tentant de se laver les mains de leurs propos dûment cités par les auteur-es du Mouvement masculiniste au Québec.

      À Benoît Dutrizac qui s'indignait que les auteur-es tentent de faire croire que les masculinistes qualifiaient Marc Lépine de héros et de victime, un des premiers propagandistes du mythe masculiniste de l'homme dépossédé de la parole, Georges-Hébert Germain, a répondu (d'une plage de République dominicaine) que ben oui, c'en était une victime. Moment de gêne… Ne s'embarrassant pas de faits dans sa démarche négationniste, Dutrizac a simplement ignoré les dizaines d'exemples cités par Mélissa Blais de cette héroïsation/victimisation de l'assassin de Poly. Quand Dupuis-Déri a refusé de comparaître au micro sans Blais, boycottée par l'animateur, ce dernier a eu l'impudence de prétendre qu'il s'était "désisté" à la dernière minute. Cheap shot, monsieur le franc-tireur.

      Fort d'une arrivée surprise d'autant de nouvelles voix dans le champ féministe, Le mouvement masculiniste au Québec multiplie notre perspective de la droite en retraçant dans plusieurs sphères le travail de sape masculiniste : harcèlement politique et personnel des organisations de femmes (Émilie St-Pierre), fléchissement temporaire du CSF qui a failli se saborder il y a 3 ans (Karine Foucault), travestissement des données statistiques à l'Institut de la statistique du Québec (Louise Brossard), compromission de forums comme le CMAQ (Mathieu Jobin), contribution à l'oppression des gais par une propagande viriliste normative (Janik Bastien Charlebois), exploitation mensongère des données sur le suicide dans une démarche qui risque de pousser encore plus d'hommes à cette extrémité (Dupuis-Déri), lesbophobie dans les propos orduriers des animateurs de sites Internet mascu… Le tableau est détaillé et convaincant même s'il y manque encore quelques touches : la lutte contre l'avortement au nom des droits du père, par exemple, le lobby des pères incestueux, et un tableau plus réaliste des ravages masculinistes en droit de la famille.

      Citation : "Plusieurs idéologues associés au mouvement masculiniste disent ouvertement que "l'identité masculine" et l'égalité sont incompatibles."

      Marie-Ève Surprenant, Blais et Dupuis-Déri concluent sur un aperçu enthousiasmant des formations Casser la vague que se donnent depuis quelques années les femmes en lutte et leurs alliés pour éradiquer les tentatives réactionnaires de culpabilisation et de détournement de ressources essentielles.

      Beau ménage de printemps… et une contribution exceptionnelle à l'analyse féministe matérialiste radicale de l'appropriation des femmes.

      Le mouvement masculiniste au Québec - L'antiféminisme au Québec, M. Blais et F. Dupuis-Déri et coll., Éditions du remue-ménage, 2008, 24,95 $

      Yvette Pageau